Numéro 6 - Hélène Delmotte et Yves Charpak, auteurs du livret de décryptage des Européennes 2019

Numéro 6 -  Hélène Delmotte et Yves Charpak, auteurs du livret de décryptage des Européennes 2019

Hélène Delmotte, journaliste et rédactrice en chef adjointe des sites Réseau CHU et Réseau Hôpital & CHT, et Yves Charpak, Vice-président de la Société Française de santé publique et expert des questions européennes, tous deux spécialistes de la protection sociale reviennent sur leur travail de décryptage des programmes, réalisé dans le cadre des élections européennes. Rencontre.

Q1. La politique sociale en Europe, c’est quoi ? Que doit-elle intégrer, selon vous ?

HD : La politique sociale européenne, c’est celle qu’on ne voit que très peu, ce qui fait dire à certains qu’elle n’existe pas… C’est totalement faux. Elle représente un enjeu majeur et nous ne pouvons que nous féliciter d’avancées qui sont bien réelles, comme en témoignent la directive sur les travailleurs détachés ou le projet de directive sur l’introduction d’un congé de paternité rémunéré, pour ne citer que des exemples récents. J’ai aussi en mémoire une très belle initiative menée par le CCAS de Carvin dans le Nord auprès de jeunes NEET, un acronyme qui désigne des jeunes sans diplôme, sans formation et sans emploi. Cette action dont les résultats sont extraordinaires en termes de réinsertion professionnelle et sociale est financée à plus de 90% par le Fonds social européen. C’est aussi cela la politique sociale européenne.

YC : La critique la plus facile, banale et pratique serait de dire que l’Europe n’est qu’un projet de libéralisation des marchés ne visant pas à protéger ses citoyens. Pourtant un nombre important de politiques européennes de protection des citoyens ont été proposées. Celles-ci entrainent souvent des réactions de refus non seulement des groupes d’intérêts économiques et industriels, mais même des citoyens et de ceux qui représentent leurs droits. Car en effet, en réalité, nous voulons bien être solidaire, défendre les droits solidaires des citoyens… mais les nôtres seulement, oubliant que la solidarité et la protection sociale demandent inévitablement un peu plus de partage aux habitants des régions les plus nanties.
Ainsi, l’Europe a été un appel d’air incroyable en termes de protection sociale et sanitaire pour les pays les moins avancés, d’abord ceux du sud, Portugal, Espagne, Italie aussi mais ensuite ceux de l’Est. Alors les citoyens des pays les plus riches ont gardé l’impression « d’y perdre », car ils n’y voient (parfois très fortement influencés pas ceux qui y ont intérêt) qu’une perte immédiate et oublient l’espace formidable de bien-être qui est ainsi créé, avec inévitablement des bénéfices et « retours d’investissement » à moyen terme pour tous.
La politique sociale européenne doit tendre à faire converger les politiques sociales et leurs niveaux de bénéfice, sur l’emploi, la culture, l’éducation, les maladies, les handicaps, les bénéfices de l’activité économique, les aides face aux incontournables inégalités… Bref, un espace de bien-être partagé le plus possible et toujours plus sans frontières.

Q2. Quel rôle peuvent jouer les députés européens demain en matière de politiques sociales ? Quels sont leurs limites ?

HD : De nombreux chantiers attendent les députés comme par exemple la mise en place d’un Smic européen sur laquelle nombre de candidats se sont engagés. Les parlementaires décideront aussi du prochain budget de l’Union, et notamment des orientations et affectations du Fonds social européen évoqué précédemment. Nous espérons également des avancées fortes dans le champ du handicap, en matière d’accessibilité et d’emploi notamment. Il est à cet égard incompréhensible et inadmissible que ce sujet n’ait pas été davantage travaillé par les partis politiques français… Quant aux limites, elles tiennent aux disparités entre les pays, en termes de revenus par exemple, et entre les législations. Mais qui peut aujourd’hui penser que nous pouvons faire face aux défis sociaux et même sociétaux qui nous attendent… seuls ?

YC : Les députés européens ont en réalité deux rôles essentiels :

1. Être des travailleurs infatigables des dossiers qu’ils ont à traiter, sur place à Bruxelles et à Strasbourg, en participant aux commissions de travail spécifiques du Parlement, aux groupes de travail de leurs partis, aux sessions plénières du Parlement, mais aussi en écoutant et accueillant simplement tous les acteurs européens qui les sollicitent ;
2. Ils ont aussi un autre rôle, en tant que seuls élus au suffrage universel à cette instance supranationale : construire une véritable interface avec la société civile de leurs pays mais aussi de toute l’Europe, pour expliquer les processus, faire la promotion de l’action européenne, valoriser cet engagement de tous. Et ce auprès des citoyens mais aussi des leaders d’opinion et de leurs collègues nationaux ou infranationaux qui en ignorent souvent les règles et les enjeux réels.

En bref, comment faire tout ça sans être pour de bon à temps plein sur au fourneau ?

Q3. Vous êtes tous deux auteurs du Livret Europe réalisé par le Fonds Handicap & Société, suite à l’analyse des programmes, qu’en avez-vous ressorti ? Quels points de vigilance en avez-vous tiré ?

HD : Tout d’abord, ce travail a été passionnant à réaliser parce qu’il met en lumière les avancées dans le champ de la santé, du social et du médico-social. Malheureusement, nous avons eu très tôt le sentiment que cette élection risquait de ne pas avoir la visibilité qui devrait être la sienne. Sommes-nous encouragés à voter pour une Union européenne plus forte et plus solidaire ou en fonction de considérations partisanes franco-françaises ? Au-delà des décryptages et des points de vigilance que nous avons détaillés dans le guide et que nous invitons chacun à découvrir, j’aimerais insister sur le besoin d’informations et de visibilité sur l’action européenne. Les députés doivent nous rendre compte de ce qu’ils font. A nous, en notre qualité de citoyens, de membres d’associations ou d’organismes divers de les interpeller et de les inciter à communiquer sur le sujet. Ils doivent nous donner davantage envie d’Europe !

YC : L’exercice a été passionnant, car il illustre pour moi que, malgré l’impression d’être « au point », de savoir ce qui se passe, l’exercice de synthèse que j’ai dû faire, avec un travail plus approfondi sur les programmes et les déclarations des candidats, m’a fait découvrir en vérité une partie « cachée » du sujet : on ne peut pas dans un monde complexe comme le nôtre vivre sur des impressions et l’illusion de compétence pour toujours.
Mais malheureusement il m’a aussi permis de constater le faible travail en ce sens fait par nombre de candidats, voire même par les équipes candidates. Notre projet démocratique européen mérite plus de sérieux de la part de ceux qui une fois élus vont avoir à participer à la gouvernance du futur de nos sociétés.
Et j’en garde un point de vigilance essentiel, celui de l’obligation citoyenne de ne pas laisser seuls nos élus à venir, au risque qu’ils oublient leurs promesses d’engagement et aussi pour les aider tout au long de leurs mandats à « tenir le cap », en les sollicitant au besoin à l’occasion d’échéances européennes importantes.

Télécharger le livret « Européennes 2019 : Quelles politiques sociales en Europe ? »