Prix Handi-Livres 2017 : Meilleure Biographie

L'auteure

Professeure de lettres puis professeure documentaliste enseignant à l’université, Marie Sey a été atteinte par la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot) à l’âge de 48 ans. Elle a pu rédiger les premiers chapitres de cet ouvrage normalement, puis avec la main fixée à la souris de l’ordinateur et, en fin de vie, par « dictée » en clignant des yeux pour valider chaque lettre sur un alphabet, non sans peine ni fatigue (ces paragraphes ont été intégrés à leur place dans la partie intitulée « Deux contrefaçons de médecins »). Elle nous laisse en témoignage cette réflexion autobiographique, lourde de l’exacerbation et de la révolte de tout son être sensible et conscient jusqu’au dernier souffle. Marie Sey est décédée en 2001 et son ouvrage est aujourd’hui publié selon sa volonté.

A noter

La sclérose latérale amyotrophique (SLA), mieux connue sous le nom de maladie de Charcot, est une maladie neuro-dégénérative grave qui se traduit par une paralysie progressive des muscles impliqués dans la motricité volontaire. Elle affecte également la phonation et la déglutition. Il s’agit d’une maladie au pronostic sombre, dont l’issue est fatale après trois à cinq ans d’évolution en moyenne. Le plus souvent, c’est l’atteinte des muscles respiratoires qui cause le décès des patients. La SLA apparaît souvent entre 50 et 70 ans, même si elle survient en moyenne plus précocement lorsqu’elle est d’origine familiale.

Résumé

Le malaise d’Hippocrate est un essai autobiographique rédigé par Marie Sey tout au long de sa révolte contre la paralysie progressive de son corps par la SLA (sclérose latérale amyotrophique). Au regard de son expérience personnelle, Marie Sey analyse et s’interroge sur les relations soignants-malade et leur impact émotionnel, en particulier au cours du diagnostic de cette maladie mortelle. Elle nous livre son ressenti de femme mûre, en situation de séduction, dont l’altération du corps exacerbe d’autant plus la vivacité intellectuelle et la sensibilité que le regard et le discours de l’autre se trouvent altérés par la frontière de la maladie et l’image qu’elle renvoie.

Critique/Avis

Avec Le malaise d’Hippocrate, Marie Sey prend le contre-pied des autres livres sélectionnés cette années au prix Handi-Livres : quand tous interrogent la manière de vivre avec le handicap, son récit décrit la fatalité d’un destin funeste ainsi que la transition vécue par son corps et son esprit depuis ce jour de février 1995 où la maladie est venue sournoisement lui déclarer sa présence. Un témoignage bouleversant de lucidité, jonché de références littéraires (Zweig, Freud, Cicéron, Dante, etc.), dans lequel elle arpente et dissèque le quotidien sous la tutelle d’un temps qui la presse à écrire, dans des conditions de plus en plus difficiles. Ce temps qui lui a été imparti, elle le mit également au service d’une réflexion sur les rapports entre le patient et le corps médical, à qui elle reproche un langage technique insensible et qui ne tient pas compte de l’humanité de l’être qui se trouve en face : « Souffrez que je m’adresse à vous en utilisant, plutôt que les mots de la maladie, qui sont l’apanage des médecins, ceux de la malade qui s’inscrivent dans une manière de kabbale indécryptable, dans un langage ésotérique pour ce quart-monde de l’humanisme que constitue la galaxie médicale, parsemée des trous noirs de l’indifférence, de la routine, de la technicité, de la carence langagière et de l’inaptitude primale à comprendre qu’un grand malade est d’abord une personne profanée qui doit, seule, trouver le chemin qui donne encore du sens à sa survie ou à ce qui lui en tient lieu, sa sous vie. » Un livre d’une rare puissance, écrit dans style de haute volée, qui permet d’envisager le handicap depuis un autre prisme que ceux traditionnellement évoqués et dont la lecture ne manquera pas d’animer les débats.

L’histoire

Un soir de février 1995, alors qu’elle était seule en train de dîner, Marie Sey découvre qu’un de ses doigts, posé sur sa fourchette, ne répond plus. Ce fut alors pour elle le début de six années à subir la dégradation de son corps atteint par la maladie de Charcot, avec la certitude d’une issue fatale. Sans fard, elle décide de raconter l’expérience de cette enveloppe charnelle qui s’atrophie et d’un cerveau dont elle compte puiser les nombreuses ressources : « Tout malade condamné à mort se retrouve entouré et pourtant désespérément seul sur l’île déserte de la survie où, tel Robinson sans Vendredi, il doit faire preuve de lucidité, de courage et d’ingéniosité pour s’organiser un espace mental où il pourra encore cultiver la nourriture spirituelle, intellectuelle, analytique qui, telle une vitamine, optimisera sa capacité de résistance, sa combativité. » Récit de l’impuissance progressive et de la rupture brutale de l’ordre des choses, Marie Sey convoque dans cet ouvrage ses dernières forces pour livrer une réflexion sur l’échéance de la mort qui approche dans les circonstances qui sont les siennes en opposant une critique à l’égard des médecins à qui elle reproche une parole désincarnée, étrangère à la réalité du vécu des patients.

Pascal Proton Directeur Général adjoint du groupe APICIL et Anne Voileau, membre du jury remettent le Prix Handi-Livres de la meilleure Biographie à la fille de Marie Sey, décédée en 2001