Prix Handi-Livres 2020 : Meilleure Biographie

Couverture du livre Psychotique de Jacques Mathis

L’auteur

Jacques Mathis est né en 1975 à Boulay, en Moselle, et vit actuellement à Strasbourg. Il a débuté sa carrière cinématographique dans les années 1990 avec un premier court-métrage réalisé en 1994. En 2007, son onzième film, intitulé Gottvertomi, est diffusé sur Canal+. Depuis 2009 il se consacre à l’écriture et, trois ans plus tard, sa première pièce de théâtre, Ma femme est une connasse, est publiée aux éditions de la librairie théâtrale de Paris. En 2019, il publie une bande-dessinée autobiographique, Psychotique, éditée par La Boîte à Bulles et sélectionnée pour ce prix.

A noter

Les illustrations ont été réalisées par Sylvain Dorange, diplômé des Arts Décoratifs de Strasbourg. Il a adapté trois films de Robert Guédiguianchez (EP éditions) ainsi que la série Les promeneur du temps, réalisée avec Franck Viale, dont trois tomes sont parus chez Poivre et Sel. En parallèle, il a réalisé quelques films d'animation et de nombreux sites en Flash. En 2015, Sanseverino lui demande de réaliser la pochette de son album intitulé Papillon. L'idée leur vient d'en faire aussi une BD, c'est ainsi que naît Sanseverino est Papillon, adapté par Cécile Richard chez la Boîte à Bulles. Il a également sorti un biopic sur Heddy Lammar : La plus belle femme du monde, scénarisé par William Roy, ainsi que sur le couple Klarsfeld, Beate et Serge Klarsfeld.

Résumé

« À cette époque, je me sentais physiquement petit malgré mon mètre quatre-vingt-deux. Un corps trop limité par rapport à l’envergure de mes idées... Tout était clair dans ma tête : je serais acteur, réalisateur de westerns spaghetti, en même temps curé, puis pape, et enfin président de la République. »
L’enfance de Jacques Mathis s’est envolée à ses 14 ans, l’année où il fit sa première vraie crise. Depuis, il lui aura fallu beaucoup de ténacité, de médicaments et d’aide psychiatrique pour s’en sortir. Pendant toutes ces années, l’envie d’écrire ne l’aura jamais quitté et lui sert encore d’exutoire.

Critique/Avis

Sans doute le livre le plus écrit, le plus original et le plus poétique de cette sélection 2020 dans la catégorie biographie ! Ce n’est pas un hasard puisque les mots ont accompagné Jacques Mathis depuis son enfance, parfois en ne voulant pas sortir de sa tête et parfois dans un flux de paroles difficiles à maîtriser. Dans cet album il pose les mots, pour lui et pour nous, afin de mieux comprendre cette maladie qui semble inverser tout rapport au bon sens. Quand on croit aller bien : « Comment le psychiatre de l’hôpital peut- il vous dire que vous n’êtes pas bien alors que vous ne vous êtes jamais senti aussi bien ? », alors que tout demande à être remis en ordre : « Je ne suis plus de ce monde depuis cette "césure", cette "cassure". Je ne suis plus dans le mouvement de la vie. Je suis à présent dans une inertie farouche, un piétinement libérateur. »

Mais au-delà des qualités littéraires, ce témoignage mérite également d’être valorisé parce qu’il montre avec force à quel point les troubles psychiques constituent un handicap dans une société souvent incapable de les accepter : « Bien entendu, je ne l’ai pas choisie, cette bipolarité ! Je n’ai pas choisi d’avoir un traitement lourd, une camisole chimique. Je n’ai pas choisi d’être assassiné psychologiquement pour renaître ensuite sur des cendres qui resteront peut-être toujours des cendres. Suis-je pour autant un raté ? Le sens de ce mot n’est plus négatif pour moi. Les médias veulent éternellement nous faire croire que "si on veut, on peut". Personnellement, j’ai voulu, j’ai pas pu. »

N’oublions pas enfin le crayon de Sylvain Dorange qui rend si bien compte des angoisses mais aussi de l’humour et de la tendresse incarnés par les protagonistes. Un trait subtil mais déterminé qui en dit beaucoup également sur les oscillations du cerveau et l’imaginaire vers lequel celui-ci peut parfois être tenté de s’abandonner.

L’histoire

« Mon histoire s’est en partie construite sans moi », écrit Jacques Mathis quand il retrace la vie qui a été la sienne avec la maladie et les traitements pour la contenir. Bipolaire, il fait sa première véritable crise à l’âge de quatorze ans dans la cours de l’école. La première d’une longue série qui va l’amener à se retrouver dans les situations les plus périlleuses et aussi à se mettre en danger, que ce soit en se dressant devant un train pour l’arrêter ou dans un parking souterrain pour ouvrir toutes les portières des voitures. Et à chaque fois, l’idée « d’aller jusqu’au bout ». Des crises auxquelles succèdent les longues périodes d’enfermement en hôpital psychiatrique qu’il raconte avec humour, tendresse mais aussi avec la détresse inhérente à ces lieux et aux patients qui s’y trouvent. « Comment admettre qu’on est malade ? Que toutes ces rêveries sont le fruit d’un trouble de la personnalité ? Qu’on va bientôt méchamment atterrir la tête la première dans un monde fait de chair, de sang, de limites et de barreaux ? » Une maladie qu’il a soigné à l’hôpital mais aussi par l’écriture, conçue comme l’indispensable exutoire pour faire de l’ordre dans sa vie et dans sa tête : « Lorsqu’on veut faire de l’écriture un "métier", lorsqu’on cesse de "croire qu’on écrit" et qu’on "écrit", on accueille en soi un sentiment de vide. Je me rappelle avoir vécu une totale "plénitude" du sentiment de vide lorsque j’étais en isolement. [...] Être vide, c’est avoir fait de l’ordre. C’est avoir jeté le superflu pour se consacrer à l’essentiel. » Une histoire de hauts et de bas qui témoignent avec subtilité du quotidien des personnes bipolaires.