Prix Handi-Livres 2020 : Meilleur Roman

Couverture du roman Murène de Valentine Goby

L’auteure

Née à Grasse en 1974, Valentine Goby a vécu trois ans à Hanoï puis Manille après des études à Sciences Po. Elle publie son premier roman, La Note sensible (Gallimard), en 2002. Parallèlement, elle commence à écrire pour la jeunesse, essentiellement aux éditions Autrement. En 2013, elle publie Kinderzimmer (Actes Sud), récompensé par treize prix littéraires, dont le Prix des libraires 2014 et le Prix coup de cœur des lecteurs au Salon du livre d’histoire de Blois. Passionnée par l’histoire et par la transmission, la mémoire est son terrain d’exploration littéraire essentiel.

A noter

L’auteure a révélé qu’à l’origine de ce roman se trouve « l’image du champion de natation Zheng Tao jailli hors de l’eau aux Jeux paralympiques de Rio en 2016, qui flotte en balise cardinale parmi les remous turquoise. Je contemple l’athlète à la silhouette tronquée, son sourire vainqueur, sa beauté insolite. Autour, les gradins semi-vides minorent cette victoire. Je m’aperçois que j’ignore tout de l’histoire du handisport, ce désir de conformité avec les pratiques du monde valide en même temps que d’affirmation radicale d’altérité, qui questionne notre rapport à la norme. »

Résumé

Hiver 1956. Dans les Ardennes, François, un jeune homme de vingt-deux ans, s’enfonce dans la neige, marche vers le bois à la recherche d’un village. Croisant une voie ferrée qui semble désaffectée, il grimpe sur un wagon oublié... Quelques heures plus tard une enfant découvre François à demi mort – corps en étoile dans la poudreuse, en partie calciné.
Quel sera le destin de ce blessé dont les médecins pensent qu’il ne survivra pas. À quelle épreuve son corps sera-t-il soumis ? Qu’adviendra-t-il de ses souvenirs, de son chemin de vie alors que ses moindres gestes sont à réinventer, qu’il faut passer du refus de soi au désir de poursuivre ?
Murène s’inscrit dans cette part d’humanité où naît la résilience, ce champ des possibilités humaines qui devient, malgré les contraintes de l’époque – les limites de la chirurgie, le peu de ressources dans l’appareillage des grands blessés –, une promesse d’échappées. Car bien au-delà d’une histoire de malchance, ce roman est celui d’une métamorphose qui nous entraîne, solaire, vers l’émergence du handisport et jusqu’aux Jeux paralympiques de Tokyo en 1964.

Critique/Avis

La murène ne compte sans doute pas parmi les animaux les plus attachants alors on est forcément un peu perplexe en lisant le titre du roman de Valentine Goby. Un sentiment qui se dissipe rapidement pour laisser place à la lecture vive d’un roman très dense et qui aborde le handicap sous deux angles : l’accident de François et ses conséquences d’une part; l’histoire du handisport et de son développement d’autre part. Deux récits que l’auteure parvient à fondre l’un dans l’autre en mêlant la petite histoire à la grande pour retracer ce qu’ont été les premières heures du handisport dans les années 1960 : « Nul athlète à l’écran mais des blessés de guerre, du travail, de la route à la santé précaire, qui refusent, admirables, de se laisser abattre. À l’occasion des Jeux de Tokyo, en 1964, on entendra dans l’émission Les coulisses de l’exploit un entraîneur rappeler que le sport est pour ces gens non un luxe mais une nécessité ».

Mais c’est bien entendu le parcours de François qui donne une dimension plus intime au livre. Un jeune homme dont la vie bascule et qui, à la douleur physique de ses blessures, doit apprendre à composer avec le handicap. Là encore, la question du regard des autres est fondamentale y compris parmi les plus proches : « Son père résume l'état d'esprit général : "Ce n'est pas du vrai sport. Pas du vrai sport." La phrase résonnait dans la tête de François qui ne se défendait pas, plus vaincu encore qu'avant de passer à table. Pas un vrai corps, donc pas du vrai sport, la première assertion commandait toutes les autres, pas un vrai frère, pas un vrai fils, un vrai amant, un vrai amoureux, un vrai prof, un vrai ami, un vrai homme. Un handicapé en toutes choses. » Des passages qui sont bouleversants pour composer ce roman aux nombreux visages et qui aborde les thèmes fondamentaux du handisport et de l’indispensable résilience dont on constate qu’elle est le thème incontournable de cette sélection Handi-Livres 2020.

L’histoire

Murène raconte l’histoire de François Sandre, un jeune homme de 22 ans qui traverse la France pour gagner sa vie sur les chantiers pendant l’après-guerre. À la suite d’un grave accident sur une ligne à haute tension qui le laisse entre la vie et la mort, il se retrouve amputé des deux bras. Dans la confusion des souvenirs dans laquelle il se perd, seules deux choses semblent le ranimer encore : le souvenir d’un grand amour pour Nine et le moment où son corps redécouvre la sensation de l’eau : « L’eau comble les interstices, fait des palmes entre ses orteils, tend des voiles invisibles entre ses cuisses, ses genoux, ses chevilles, le prolonge et l’augmente. Il a envie de pleurer soudain, comme dans l’amour lorsqu’il est grand amour, à cause des corps parfaitement imbriqués, les creux et les reliefs visibles et invisibles complètement épousés, la sensation du plein retrouvée et bénie ». Métamorphosé dès qu’il pénètre dans le bassin, François découvre qu’il peut transformer le handicap de son corps en quelque chose d’autre qu’il identifie au mouvement de la murène. L’agilité et la rapidité avec lesquelles elle nage. Nous sommes dans les années 1960 et le handisport commence tout juste à émerger. Sous la forme presque d’un documentaire, l’auteure décide de nous emmener dans l’histoire du handisport à travers les nouveaux défis que François va relever pour repartir à la conquête de sa propre vie.